Pourquoi je saute

Préambule,

Yaman est un survivant. Un homme qui a choisi d’affronter la finitude de l’existence en bravant l’apesanteur. En 1999 un tremblement de terre meurtrier fera 50000 morts à Istanbul. Yaman n’en fera pas partie, son destin le garde vivant, les murs porteurs tiennent et réveillent en lui un instinct de survie. Survivre à l’ennui, aux facilités, à l’aigreur et au ressentiment, l’homme se lèvera et décidera de vivre. Honorer chaque minute de l’existence. Intensément et passionnément. Yaman aligne âme et corps pour s’élever au dessus des petites choses qui rongent le rêve. Je l’ai connu champion de breakdance et danseur de génie, je l’ai retrouvé héros volant dans l’objectif. Lorsqu’il était enfant il restait collé à l’écran admirant Bruce Lee et Charlie Chaplin, aujourd’hui c’est lui le héros. Le papa tendre et courageux, l’acrobate esthète qui déploie ses ailes invisibles pour nous rappeler que l’envol ne dure qu’un instant. Fragile et puissant. Un infime instant et une éternité. 

Nikos Aliagas.

La nuit du 16 au 17 août 1999, 3H05 du matin, à 30 km d’Istanbul 7,4 sur l’échelle de richter, la terre a tremblé 45 secondes, 40 000 morts. Je suis vivant, le bâtiment a résisté. Sentir la terre trembler et en entendre son grondement, c’est comme goûter à la colère de Dieu. J’avais 22 ans. En 2008 j’ai eu un petit appareil photo entre les mains. Ma première réaction a été de mettre le « timer » et de me photographier dans les airs. Sans savoir pourquoi. Puis j’ai continué à refaire la même opération un peu partout sans vraiment préparer à l’avance, toujours à l’instant.  

Un jour, 1 an après avoir commencé mes photos, une personne, me pose une question et me demande pourquoi je saute sur toutes mes photos, sur le coup je n’ai pas su répondre, je sentais juste que c’était un besoin que j’avais. Le jour d’après la question résonnait toujours dans ma tête, puis un souvenir apparait, comme un flash, je suis dans le couloir de l’appartement la nuit du tremblement de terre, après le tremblement je me dis « ah si je pouvais voler, je n’aurais jamais senti la terre trembler »

D’un coup tout s’éclaire tout prend un sens. Je suis un bboy (breakdancer, danse qui se pratique essentiellement au sol), j’ai toujours eu un amour pour le sol, la terre, et de l’avoir senti trembler ma profondément fait peur et a augmenté mon estime, ainsi qu’une certaine crainte de sa puissance, alors mon premier réflexe avec cet appareil photo a été de sauter, voler, de me figer au-dessus du sol, comme si je posais avec, comme si je pouvais le voir, le surveiller. Chaque saut est un hommage à des âmes qui s’est envolées cette nuit-là.
Alors je vole.